La lecture m’accompagne et me nourrit au quotidien depuis l’enfance. Partager les ouvrages qui m’ont touchée intéressée amusée scotchée ou bouleversée est un plaisir supplémentaire. Et un tremplin vers le partage intime et ultime : l’écriture, qui m’anime et me passionne tout autant.

Jours sans faim, de Delphine de Vigan (Lou Delvig)

Laure a dix-neuf ans, mesure un mètre soixante-quinze et pèse trente-six kilos. Elle ne peut plus parler ni lire, presque plus réfléchir, marcher sans tomber, s’assoir sans que la pointe de ses os ne lacère sa peau.

Dans ce livre comme un journal de bord, hospitalisée aux portes de la mort et de la folie, jour après jour elle lutte contre elle-même, contre le double malfaisant à qui elle a donné un nom, contre l'impératif de contrôle qui régissait sa vie. Bouchée après bouchée, un liquide de gavage coulant par le nez, comptant les calories elle revient à la vie en voyant avec angoisse les kilos revenir. Épaulée par le médecin qui l’a prise en charge, écoutée, portée à bout de bras, vue pleurer, crier, elle avoue par bribes une mère malade, absente, un père furieux, maltraitant et une belle-mère assortie, une soeur et un frère également pris en otage.

Autour de Laure les patients - boulimique, anorexique, en surpoids ou en fin de vie, habitent chacun quelques mètres de l’espace hospitalier, mêlant aux autres à sa façon une tranche de vie.

La maladie pour seule façon d’exister ? Si elle sort, si elle s’en sort, Laure devra, seule, répondre à cette question.


Ce roman, premier texte publié (sous pseudonyme) par Delphine de Vigan, fait écho au récit de son magnifique livre autobiographique, Rien ne s’oppose à la nuit

Un récit dur, fort, puissant, très bien écrit, dont les mots et les idées sont aussi difficiles à lire qu’indispensables à dire.


Jours sans faim, de Delphine de Vigan

Aux éditions J'ai lu, Folio, Grasset

Ce que je sais de toi, d'Éric Chacour

Dans un dialogue unilatéral à la deuxième personne, le livre raconte l’histoire de Tarek, jeune médecin du Caire, au sein d’une famille et d’une communauté francophile chrétienne des annnées 80.

Au cœur d’une Égypte en pleine mutation (politique, économique, religieuse, …), après la mort de son père Tarek a grandi et se construit au milieu de femmes fortes - sa mère, leur employée, sa sœur, sa femme. Son avenir semble tout tracé dans les pas de son père et l’espoir de bientôt fonder une famille.

Et puis il y a la rencontre, celle que l’on n’attendait pas, celle qui fait tout vaciller, celle qui risque de tout casser et peut tout changer. 

Je n’en dirai pas plus, Ce que je sais de toi se lit, se découvre, au fil du récit finement analysé, les faits se succèdent avec fluidité. Le passage de la première à la seconde partie embarque dans un nouveau point de vue, apporte un souffle différent et dans le rythme accéléré aller-retour entre plusieurs années, à l’unisson du narrateur le lecteur avance en quête de vérité.


Eric Chacour reconnaît son intention dans les mots « lumineux, humour, tendresse », choisis avec justesse par Augustin Trapenard pour qualifier son livre dans la grande librairie du 13 septembre dernier. Un premier roman impressionnant tant au niveau de la création que de la réalisation. Un livre très maîtrisé, où la tension monte, guidée par une écriture riche, ample et précise.


Ce que je sais de toi, d'Éric Chacour

Aux éditions Philippe Rey

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.

Le Roitelet, de Jean-François Beauchemin

Le narrateur vit au cœur de la nature avec son épouse, entouré d’amis, proche de son frère plus jeune de quelques années. S’ils ne sont pas prénommés dans ce roman, on devine l’essentiel : leurs sentiments, leurs ressentis et surtout la force du lien qui les unit face à l’ombre au dessus du cadet. 

Les mécanismes de l’esprit du frère affleurent dans ses paroles livrées au compte goutte, tour à tour passionnantes déroutantes tendres poétiques opaques ou prophétiques, elles ajoutent à la beauté de ce livre. Le narrateur juge ses propres remarques « disparates ». Au contraire, elles dessinent page après page les contours d’une pensée différente, unique.


Le rythme léger de 63 chapitres d’une page ou deux permet l‘enchaînement de petites tranches de vies affranchies de chronologie. Ces moments, ces échanges, ces jours et ces heures partagées par l’homme avec son frère esquissent la personnalité de chacun, leur état d’esprit et au delà de la maladie mentale, leur intelligence, leur bienveillance, leur attachement. Dans la campagne, en compagnie des fantômes de chers disparus, de voisins, d’un chien d’un chat, quoi de plus important que le lien, la famille ?

Il y a beaucoup de réflexion, de pensées profondes - certaines nées de l’imagination, dans ce roman magnifique. Comme dans le personnage du frère neurodifférent, il y a aussi, j’ai envie de dire surtout, beaucoup de poésie, de beauté et beaucoup d’amour. 


Le Roitelet de Jean-François Beauchemin

Aux éditions Québec Amérique en version brochée

Chez Folio en livre de poche

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.

La colère et l’envie, d'Alice Renard

Isor, bébé, enfant, ne parle pas ne s’arrête jamais, va de colère en colère et personne ne la comprend. Crie-t-elle cette frustration, son impuissance ? Chaque professionnel consulté énonce une théorie, propose un traitement, certains renoncent. Ses parents choisissent de la soustraire aux diagnostics. La colère et l’envie met en lumière cette enfant à part, difficile à appréhender difficile tout court, le parcourt du combattant de ses parents épuisés, perdus. À travers le quotidien surréaliste de cette famille, Alice Renard pose des mots sur le clivage de la différence. Le fond et la forme se rejoignent : La colère et l’envie est un livre exigeant, puissant, unique. 
Au deuxième chapitre Isor, treize ans, et son voisin solitaire, retraité, se rencontrent au sens propre, et tous les après-midis, revivent à deux. Entre la jeune fille forteresse et l’homme âgé habité de tristesse, une relation profonde se noue à l’exclusion des parents entre soulagement de la voir occupée et incompréhension. 
Trois ans plus tard, lorsque Lucien a un accident, Isor disparaît et en quelque sorte, tout commence. Dans la fuite d’Isor on devine une réparation, dans cette réparation une renaissance pour lui, pour elle, pour ses parents. 

Le récit dépasse le sujet (très bien traité) de la neurodifférence, pour parler de remord, de chagrin, d’isolement, d’amour familial. Alice Renard a écrit (à 21 ans) un livre que personne d’autre ne serait capable d’écrire. Sa sensibilité que l’on imagine exacerbée, son histoire sans doute, son vécu, son imagination ont écrit de concert dans une langue aussi brute que fine, une observation juste de la vie et des sentiments, accompagnée d’une grande érudition. Elle livre une histoire sans évitement où la colère côtoie l’envie, et la violence des différences, la beauté. 
« Je suis un être envolé et utile », dit Isor à ses parents. Quoi de plus utile qu’un tel livre ?


La colère et l’envie, d’Alice Renard

Aux éditions Éloïse d’Ormesson

Finaliste du prix Libraires en Seine, auquel j'ai le plaisir de participer.


Alice Renard a reçu le Prix littéraire de la Vocation 2023 de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet, sous le parrainage de Benjamin Millepied. J'ai eu la chance d'assister à la remise des prix et vous invite à lire sur le site de la fondation ce qu’elle dit de son écrit.


Poussière blonde, de Tatiana de Rosnay

Poussière blonde nous emmène au Nevada, dans l’univers poudré du Mapes Hotel et de sa belle clientèle, à travers les yeux de Pauline, femme de ménage, jeune mère célibataire franco-américaine, bloquée dans l’emprise d’une relation toxique. Dans ses rêves, elle devenait vétérinaire au service des magnifiques mustangs sauvages de la région, une rencontre va changer sa vie.

Ce roman, à travers ses personnages dont la vie se découvre au fil de chapitres alternés dans le temps, explore à mon sens de nombreux thèmes : la célébrité, le rapport au sauvage et à la liberté, le contrôle et le pouvoir, la difficulté de se réaliser dans un pays étranger, la confiance en soi et ses aspirations, le respect sous toutes ses formes.

Lorsque j’ai eu le plaisir de rencontrer et surtout d’écouter Tatiana de Rosnay parler de ses livres en général et de ce roman en particulier, elle a eu cette jolie formule : « Marilyn Monroe est un passager clandestin ». Et quel passager ! Dans les regards croisés de la star et de la jeune fille inconnue, se joue une tranche de vie pour chacune d’elle, au cœur du tournage en pleine débâcle des Désaxés. 

Poussière blonde, de Tatiana de Rosnay

Danser encore, de Charles Aubert

Alors que monte de façon inéluctable le nazisme, Rukeli boxe. Il boxe pour être champion d’Allemagne, progresse au mépris des critiques opposées à son style "dansé", au mépris des injures racistes lancées à ses cheveux sombres sa peau foncée, ses origines tziganes. Il aime Olga, violoniste arienne qui partage sa vie et tente d’intégrer l’orchestre philharmonique de Berlin.

Les tensions s’intensifient dans le pays et dans toute l'Europe. Devant leurs proches incrédules, chaque jour chaque manifestation chaque élection, le mal écrase un peu plus le bien et l’avenir n’existe plus. Petit à petit, Rukeli perd tout. Son titre, sa licence, ses droits, sa femme et sa fille dont il doit s’éloigner pour les protéger. La suite, la fin, sont d’autant plus poignantes qu’elles content la véritable histoire de Johann Trollmann « Rukeli », de sa famille, des tziganes - "peuple du vent", des allemands, des millions de déportés, assassinés.


Les dix rounds implacables de ce livre à l’écriture précise, forte et bouleversante, en faisant revivre la mémoire du boxeur mort en 1943, rappellent par son histoire, une parmi tant d'autres comme celle d'Anne Frank, les valeurs bafouées de la citoyenneté, de la liberté, de l’humanité, les vies détruites dans l’immense violence et la folie nazies.


Danser encore, de Charles Aubert

Publié aux éditions Istya et cie

Finaliste du prix Libraires en Seineauquel j'ai le plaisir de participer.